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TROIS QUESTIONS À Arnaud Robinet

N°623 Mars - Avril 2025

Cinq ans après le Covid, l’hôpital pilier de notre souveraineté

À l’occasion du cinquième anniversaire du premier confinement, la Fédération hospitalière de France publie la deuxième édition de son baromètre sur l’accès aux soins. L’analyse des évolutions de l’activité hospitalière, complétée par un sondage Ipsos portant sur le ressenti des Français, indique que nous sommes à un moment charnière. Sommes-nous mieux préparés aujourd’hui pour affronter les défis sanitaires de demain ?

Propos recueillis par Nadia Bastide-Sibille le 17 mars 2025


04/04/25

Président de la Fédération hospitalière de France – Maire de Reims et président du Grand Reims

 

Où en est notre hôpital public cinq ans après la plus grande crise sanitaire que nous ayons vécue ?

Il y a cinq ans, la pandémie a mis en lumière la résilience et l’engagement sans faille des établissements publics et médico- sociaux, ainsi que de leurs équipes. L’hôpital public a été, dans l’urgence, le véritable bouclier sanitaire de la nation. Aujourd’hui, malgré des avancées notables, le bilan reste très contrasté pour notre système de santé. Les failles structurelles révélées par la crise sont toujours présentes et le déficit des établissements publics ne cesse de s’aggraver depuis 2019. Sur le plan financier, tous les voyants sont au rouge. Cette dégradation non seulement compromet leur capacité d’investissement, mais pèse lourdement sur les ressources humaines. Pourtant, les investissements du Ségur de la santé ont permis de moderniser les infrastructures et de restaurer partiellement leur capacité d’action. Grâce au Ségur, à l’augmentation des quotas d’étudiants, au développement de la fonction d’IPA, à la réforme des soins critiques et à la modernisation des métiers du soin, nous observons un recul notable des tensions RH à l’hôpital, alors que la situation initiale était pourtant très défavorable.

Des défis majeurs persistent : finaliser la réforme des métiers infirmiers, garantir des financements durables pour la formation, renforcer l’attractivité des carrières et améliorer la coordination au niveau territorial. Si une nouvelle pandémie survenait, nous serions mieux préparés sur le plan organisationnel, mais la fatigue et la lassitude des soignants restent une préoccupation majeure. Enfin, il faut nous arrêter sur la situation particulièrement critique du secteur médico-social public. Les résidents d’Ehpad ont déjà payé un lourd tribut à la crise. Cinq ans plus tard, la situation financière des ESMS est plus fragile que jamais. Certes, des mesures récentes – tarifs différenciés, fusion expérimentale des sections soins et dépendance à partir de juillet 2025 – visent à faire évoluer leur modèle économique. Mais elles restent insuffisantes : 85 % des Ehpad publics sont aujourd’hui en déficit, alors qu’ils étaient historiquement à l’équilibre. La hausse massive des cotisations CNRACL constitue une menace supplémentaire, et ce d’autant plus que le secteur médico-social ne bénéficiera que d’une compensation partielle. La FHF demande d’ailleurs une compensation intégrale et immédiate.


Que révèle la seconde édition du baromètre sur l’accès aux soins ?

Ce baromètre s’appuie sur deux volets :

• l’analyse de l’évolution de l’activité hospitalière depuis 2019 à partir des bases nationales,
• un sondage Ipsos qui éclaire les ressentis, attentes et difficultés des Français face à un enjeu central : l’accès aux soins. Premier constat : l’activité hospitalière retrouve des couleurs, même si la reprise masque encore de fortes disparités. Pourtant, si les séjours de médecine avec nuitées se rapprochent progressivement du niveau attendu, certaines disciplines restent en dette de santé publique. Nous observons un retard préoccupant dans les disciplines suivantes : gastroentérologie, neurologie, cardio-vasculaire, rhumatologie, tout comme la chirurgie de recours.

Un début d’amélioration est également perceptible en matière de capacités d’hospitalisation. Second constat : l’accès aux soins continue de se dégrader, générant une inquiétude croissante et même une colère palpable chez nos concitoyens. Trois quarts d’entre eux redoutent de ne pas pouvoir accéder à des soins de qualité en cas d’urgence. Deux sur trois déclarent craindre d’être hospitalisés dans le contexte actuel. Ce ressenti doit nous alerter. Le chiffre le plus marquant reste le suivant : 68 % des Français ont renoncé à au moins un acte de soins au cours des cinq dernières années, contre 63 % en 2023. Les raisons sont multiples : délais trop longs, éloignement des professionnels ou encore motifs financiers, invoqués par 45 % des personnes concernées. C’est inacceptable. Cela montre, plus que jamais, le rôle essentiel de l’hôpital public, accessible à tous et ancré dans tous les territoires.


Comment consolider notre système de santé dans cette situation budgétaire contrainte et politique instable ?

Nous sommes à la croisée des chemins. Soit nous nous donnons les moyens d’amplifier la reprise et de planifier la consolidation de notre bouclier sanitaire à long terme, soit nous choisissons de laisser les choses en l’état, au risque de voir notre système de santé s’affaiblir encore davantage. Dans un monde instable, traversé de crises sanitaires, climatiques et géopolitiques, l’hôpital public est en première ligne face aux nouvelles menaces. Il faut désormais l’intégrer pleinement à notre stratégie de défense nationale. Pour cela, quatre leviers stratégiques doivent être activés dès maintenant :

• sanctuariser le budget de la santé. Nous devons garantir des financements pérennes indispensables pour un niveau de préparation optimal aux crises futures. Nous devons aussi trouver d’autres financements ; la FHF propose à cette fin la création d’un « livret H » pour soutenir les investissements et évolutions technologiques de l’hôpital public. Cela permettrait aussi d’abonder la création d’un fonds vert, calqué sur le Fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires. Le besoin d’une planification en santé n’a jamais été aussi urgent ;

• renforcer notre indépendance sanitaire : relocaliser la production de médicaments et de matériel médical est une priorité stratégique. Des investissements sont nécessaires pour sécuriser nos chaînes d’approvisionnement et limiter notre dépendance aux importations ;
• intégrer pleinement les enjeux de résilience sanitaire dans nos programmes de formation et de recherche. Former plus de soignants, renforcer la recherche en santé et structurer des plans d’urgence nationaux sont des impératifs ;
• renforcer la cybersécurité des hôpitaux, qui sont devenus des cibles stratégiques. La menace augmente, mais le programme actuel de cybersécurité CaRE ne suffit plus. Il est primordial d’améliorer la résilience cyber des établissements publics, en particulier les CHU et les établissements supports de GHT. Protéger notre hôpital public, c’est protéger notre population. C’est un impératif de souveraineté.

Une légère embellie mais des difficultés persistantes

Une dynamique d’activité très forte en 2024*

+ 3,7 % nombre de séjours
+ 1,2 % séjours avec nuitées (+ 2,2 % pour la médecine, + 1,8 % pour la chirurgie)
+ 6,1 % activité ambulatoire

Recours réel aux soins/attendu*

• Au global : un niveau supérieur à celui attendu de 516 000 séjours
• Âge > 85 ans : un niveau inférieur à celui attendu
• Médecine : des niveaux proches des niveaux attendus sauf dans quatre disciplines : digestif, neurologie, rhumatologie, cardio-vasculaire
• Chirurgie hors recours : activité supérieure de 6 % au niveau attendu
• Chirurgie de recours : une reprise toujours inférieure au niveau attendu, particulièrement en digestif et neuro-chirurgie
• Transplantations d’organe : un niveau presque équivalent à celui attendu (-1 %)

Les Français et l’accès aux soins**

89 % se disent en colère face au manque de moyens alloués à l’hôpital public et aux conditions de travail du personnel soignant
76 % indiquent avoir peur de ne pas pouvoir accéder à des soins de qualité en cas de besoin urgent

* Deuxième édition du baromètre sur l’accès aux soins, FHF.
** « Les Français et l’accès aux soins », sondage Ipsos réalisé du 20 au 26 février 2025 sur 1 500 personnes représentatives de la population vivant en France métropolitaine, âgées de 18 ans et plus,.